Scandale des assurances construction : êtes-vous concerné ?

    Publié le 21 février 2019 par Rouba Naaman-Beauvais
    Des assureurs défaillants, basés dans des paradis fiscaux, ont garanti des chantiers en France. En cas de litige, il s'avère quasi impossible pour les particuliers d'obtenir gain de cause. Autopsie d'un scandale qui pourrait toucher des milliers de consommateurs.
    Faire construire sa maison, le rêve d'une vie... qui peut rapidement se transformer en cauchemar. C'est le cas pour de nombreux particuliers, victimes du "scandale des assurances LPS", relayé par nos confrères de Batiactu en 2018. Observant des malfaçons sévères dans le bâtiment, ces nouveaux propriétaires ne parviennent pas à se faire dédommager. Et pour cause : l'assureur de l'entreprise qui a réalisé le chantier a mis la clef sous la porte...

    L'origine du scandale

    Le scandale ébranle depuis près d'un an le monde du bâtiment. A l'origine, des assureurs européens, basés dans des paradis fiscaux, qui ont le droit d'exercer en France selon la directive européenne sur la Libre prestation de services (LPS). Ils proposent - parfois par le biais de courtiers - des contrats d'assurance low-cost à des sociétés françaises, parmi lesquelles des entreprises du milieu de la construction.
    Constructeurs, artisans de toutes branches, entreprise générale de travaux, architectes, certains ont souscrit auprès de ces assureurs "LPS" des contrats d'assurance "responsabilité décennale", une couverture obligatoire pour exercer dans la maîtrise d'oeuvre. En première ligne, les jeunes entreprises et les TPE qui se sont vu refuser un contrat chez les grandes sociétés d'assurance, faute de pouvoir fournir des références solides.
     
    L'assurance responsabilité décennale, c'est quoi ?
    Également appelée garantie décennale, l'assurance responsabilité décennale garantit la réparation des désordres que l'on constate après la réception des travaux, si ces dommages affectent la solidité du bâtiment ou le rendent inhabitable.
    Tout professionnel de la construction, même étranger, qui intervient dans la maîtrise d'oeuvre doit souscrire un tel contrat. Il engage sa responsabilité pendant 10 ans après la fin des travaux.

    Pourquoi un tel scandale ?

    L'équilibre précaire se rompt car ces garants s'avèrent peu fiables. "Ces assureurs étrangers se sont trouvé face à la loi française, très exigeante et ultra protectrice pour les consommateurs", nous explique Eric Surzur, avocat spécialisé en droit de la construction au sein du cabinet Alience Avocats. "Ils ont probablement mal apprécié la sinistralité du marché français", estime-t-il.
    Résultat : obligées de verser de lourdes sommes en garantie de nombreux chantiers présentant des dommages, un grand nombre de ces sociétés sont en liquidation, ou ont suspendu leurs activités en France. La plupart étant appuyées sur des entreprises situées à l'étranger dans l'espace européen, il est très difficile de remonter leur piste pour trouver les responsables et leur faire honorer les contrats.
    Un assureur défaillant, ce n'est pas un scandale en soi. Il existe d'ailleurs un fonds de garantie obligatoire, le FGAO, qui couvre les sinistres garantis par la décennale pendant 40 jours après le retrait de l'assureur. Pourquoi, alors, tant de dommages non couverts ? Parce que les assureurs exerçant en libre prestation de services (LPS) n'avaient pas l'obligation de souscrire à ce fonds. C'est le cas seulement depuis le 1er juillet 2018, et de manière non rétroactive. Les particuliers ayant donc fait appel à un artisan couvert par un assureur LPS n'ont aucun moyen de recours simple.

    Qui sont les victimes de ce scandale ?

    Premières victimes de ce revirement, les entreprises du bâtiment françaises leur ayant fait confiance, puisqu'elles perdent leur couverture du jour au lendemain et ne peuvent plus exercer. Peu d'architectes sont concernés, la plupart étant couverts par un assureur spécialisé, la MAF.
    Mais les particuliers aussi sont impactés. Ceux qui ont fait construire ou rénover, puis ont eu la malchance de constater un désordre au sein de leur maison une fois le chantier terminé, se sont tournées vers l'assureur du maître d'oeuvre, en vain. Certains avaient été négligents, ne souscrivant pas une (pourtant obligatoire) assurance dommages ouvrage, qui indemnise les désordres en 60 jours maximum, s'il s'agit de litiges couverts par la décennale.

    A qui la faute ?

    Les torts semblent partagés dans cette complexe et douloureuse affaire. De la part des assureurs, "il n'y a pas volonté d'escroquer, mais plutôt une très mauvaise appréciation du marché français", estime Maître Surzur. Or, ajoute l'avocat, "évaluer les risques fait partie intrinsèque du métier d'assureur". Un réellement manquement, donc, du côté des garants étrangers.
    Autre corps de métier sur la sellette, les courtiers en assurance. De nombreuses entreprises ont souscrit des contrats auprès d'assureurs étrangers par leur biais. Le manquement ici concerne le devoir de conseil, insiste Maître Surzur. "L'ACPR avait diffusé des notes d'information alarmistes sur les capacités de remboursement de certaines sociétés d'assurance parfois basées à l'étranger, nous précise-t-il. Les courtiers auraient dû les lire, s'informer, et conseiller leurs clients en connaissance de cause".
    Enfin, on pourrait également soulever la négligence des entreprises du bâtiment qui ont opté pour des contrats low-cost, au lieu de choisir des garants solides. Une notion qui fait débat, puisque nombre d'entre eux soutiennent s'être vu refuser un contrat de garantie décennale chez des assureurs plus sérieux, faute de pouvoir fournir suffisamment de garanties. D'autres, également, affirment n'avoir pas eu d'autre choix que de se tourner vers des garants offshore, les assureurs français connus leur ayant proposé des primes exorbitantes.

    Comment s'en sortir ?

    Des malfaçons dans la construction ou la rénovation de maisons individuelles, des assureurs installés dans des paradis fiscaux et qui font faillite, des courtiers en assurance peu scrupuleux, un réglementation européenne douteuse, des particuliers pas assez méfiants... Les ingrédients d'un fiasco aux conséquences majeures : plusieurs milliards d'euros de sinistres pourraient ainsi ne jamais être indemnisés.
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